Du bon usage de la fiscalité en faveur de l’investissement.
« Une démocratie se fragilise quand les riches essayent d'imposer un excès d'inégalité ou bien les pauvres, un excès d'égalité », écrivait déjà Aristote. Pour résoudre la crise que nous traversons en France, il importe de bien poser le problème, sur les deux plans indissociables de l’économie et la politique fiscale.
Le nœud du problème
Une bonne partie du déséquilibre budgétaire actuel provient de la "Flat tax" mise en place en janvier 2018, qui prive le budget d’une ressource non négligeable. La politique de l'offre qu’a choisi de mener le Président Macron en allégeant notamment les prélèvements pour les plus riches, par l'abaissement du plafond de l’impôt sur les revenus du capital financier à 30 %, et en modifiant l’ISF, par l'exonération des produits de tels capitaux, repose sur l'idée d'une élasticité à la fiscalité de la décision d'investissement. Il espère que le surplus dégagé par cette baisse sera réinvesti dans l'économie réelle.
Comme l’écrit Paul Krugman dans le New-York Time du 16 novembre, « Ce qui gouverne les investissements est la perception que l'on a de la demande dans un marché donné ». Aux États-Unis, en l’absence d'opportunités d'investissements dans l'économie "réelle", la baisse d'impôts pour les détenteurs de capitaux provoque un afflux d'argent qui vient gonfler la trésorerie des entreprises, circule entre maison mère et filiales et en tout cas, reste dans le circuit financier, cela par de multiples techniques spéculatives, telles des arbitrages à très court terme sur des titres afin de bénéficier de plus-values.
Cette théorie de l'offre n'est pourtant pas en soi une absurdité, et elle semble fonctionner dans une certaine mesure en France, puisque l’on a entendu récemment sur les antennes, un député REM annoncer un accroissement de 2 milliards des investissements dans les PME, depuis le début de l’année, qu’il impute à la modification de l’ISF. Toutefois ce chiffre brut, ne fait que constater un flux financier en direction des PME, il comporte aussi bien les rachats d'entreprises, que par exemple leurs emprunts afin de soulager leur trésorerie. Il n’est pas certain que les sommes sont employées pour l'acquisition de biens ou de services, c'est à dire les véritables investissements des PME. Cependant, si cette tendance comporte massivement de tels éléments et se maintient, c’est une très bonne nouvelle.
D’ordinaire, seule une percée technologique d’utilité polyvalente crée une offre en capital réel, et rend ces investissements attractifs. Et à l’heure actuelle, ce sont surtout ces économies émergentes qui y sont sujettes. L'Europe a connu par le passé, de telles poussées de développement qui ont coïncidé avec ces percées technologiques, comme la machine à vapeur, puis le moteur à explosion ou l’électricité. Ces découvertes ont créé une croissance sur une longue durée, par des cycles de l'ordre d'un siècle, avec des investissements réels, appel de main d’œuvre, et création d'une demande solvable, cela grâce à un coup de pouce du gouvernement et à des partenariats publics- privés.
Un espoir de croissance
Il n’est pas dit que la France ne soit pas bientôt à nouveau en situation de percée technologique. La robotique et l'IA sous toute ses formes, représenteront une belle opportunité dans un avenir proche. Afin de l’y préparer, il revient au gouvernement de fournir d’ores et déjà une impulsion, aussi bien dans la recherche et le développement, que dans la formation des ingénieurs. Et, à entendre l'allocution présidentielle du 10 décembre, nul doute que cette préoccupation est bien présente. Le "crédit d'impôts compétitivité recherche" comme son récent aménagement, injustement décriés, sont aussi à cet égard une amorce intéressante. Ce n'est toutefois qu'une partie de la solution, et elle est, au mieux, à moyen terme.
Que faire ?
Nous sommes dans une crise d'une acuité dont nous avons perdu l'habitude et des évolutions rapides sont indispensables.
Le vrai problème fut énoncé par Tocqueville dans le début de son ouvrage : "L'Ancien Régime et la Révolution". Il constate que le pays était arrivé à une situation où l'impôt portait moins sur ceux qui étaient les plus capables de le payer que sur ceux qui étaient incapables de s'en défendre. Le raccourcit historique est angoissant par sa pertinence.
Comment ne pas voir que la crise actuelle exprime le fait que ceux qui sont le moins capable de le payer ont trouvé un moyen pour s'en défendre ? Au fond, le problème politique qui est en cause n'est pas le consentement à l'impôt, mais à sa répartition actuelle, avec pour point focaux les taxes sur les carburants et le totémique ISF. Même si la colère déborde sur le pouvoir d'achat en général, la question fiscale est centrale.
Nous parlions de démagogie, évitons-la. Effacer la Flat tax et la réforme de l'ISF par un "fait du prince" serait psychologiquement catastrophique, il y aurait là de quoi déclencher une mini panique financière préjudiciable à tous, et des revendications pour un nouveau "coup de barre" dans l'autre sens dés la prochaine alternance.
Alors où est l'issue?
Si la recherche de la richesse est l'un des moteurs de l'économie, celle de la sécurité et de la stabilité fait partie de ceux de la politique, et ils sont assez puissants pour déborder sur l'économie.
Pensons seulement au manifeste de l'association Responsible Wealth signé en 2017 par l’emblématique Georges Soros et 400 multimillionnaires et milliardaires américains qui refusaient des cadeaux fiscaux dans le souci de la justice sociale et de la stabilité de leur pays. Certes, le nouvel occupant de la Maison Blanche n'est pas dans cette voie, mais ce manifeste était la résurgence d'une solide tradition chez "l'Oncle Sam".
En France, et même en l'Europe, c'est sûrement ce chemin qu'il faut explorer. La construction d'une sorte de "compromis historique fiscal" pour rééquilibrer les inégalités, n'a rien d'utopique.
La crise actuelle est sans doute assez dangereuse pour qu'on puisse espérer qu'à l'issue d'un débat large et transparent nous n’aboutissions à la construction d'un consensus mettant à contribution ceux qui " sont les plus capables de payer l’impôt”, c'est à dire non seulement les Gafa qui opèrent sur le territoire, mais aussi sinon directement les entreprises, du moins les bénéficiaires terminaux
par
Jean Dubois
Brigitte Panah-Izadi
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